Cela fait encore une exposition jolie, et une mise en scène curieuse: le théâtre, par un décor combiné, moins simple que les procédés ordinaires décrits par Schlegel, devait représenter d'un côté l'intérieur de la maison de Strepsiade, de l'autre l'intérieur de l'école de Socrate;

Le disciple raconte à Strepsiade les merveilles de l'enseignement des sophistes: comme quoi Socrate vient d'apprendre à Chéréphon à mesurer le saut d'une puce qui du sourcil de celui-ci avait sauté sur la tête de celui-là, et à trouver le rapport exact qui est entre le saut et la longueur des pattes;

descends près de moi, mon cher petit Socrate, pour m'instruire des choses sur lesquelles je viens te demander des leçons.

En vain, Socrate, comme le Maître de philosophie de M. Jourdain, veut commencer par le commencement: point d'affaire!

dis-moi: si j'achetais une magicienne de Thessalie et que je fisse pendant la nuit descendre la lune, pour l'enfermer, comme un miroir, dans un étui rond, je la tiendrais sous clef, et alors... SOCRATE.

Phidippide reste chez les sophistes, et profite des leçons de Socrate un peu plus vite que Strepsiade;

Socrate, le maître du divin Platon!

Socrate, qui a toute la fermeté du stoïcien sans en avoir la morgue!

Socrate, que la Pythie avait proclamé le plus sage des hommes, et dont Platon disait avec vénération et avec amour: «

Socrate, qui mourut leur victime, pour les avoir convaincus d'ignorance et de mauvaise foi, comme le Christ mourut victime des Scribes, pour les avoir traités d'hypocrite! Socrate, dont la mort divine a mérité d'être appelée l'apothéose de la philosophie!

Comment Aristophane, aussi bien qu'Eupolis et Amipsias, osèrent-ils, devant le public contemporain, calomnier ainsi Socrate? Comment les amis et disciples du philosophe odieusement travesti ne firent-ils pas entendre contre de tels excès des protestations énergiques et efficaces? C'est sans doute que les majorités sottes étouffent aisément la voix des minorités intelligentes.

Le peuple, qui faisait mourir Socrate sous prétexte d'irréligion, souffrait bien qu'un poëte comique mît sur la scène la caricature de tel ou tel dieu qu'on adorait à d'autres heures.

Socrate pour représentant de la sophistique plutôt que Gorgias ou Protagoras

Si Socrate est un idéal pour nous, nul n'est un idéal pour ses contemporains, comme nul n'est héros pour son valet de chambre.

que devait exprimer plus tard Caton l'Ancien qui, au rapport de Plutarque, traitait Socrate de bavard et de séditieux.

Aristophane n'avait aucun dessein de désigner Socrate à la vindicte publique;

Je conviendrai que, s'il était constant qu'Aristophane eût pu être considéré comme l'instigateur de la condamnation et de la mort de Socrate, Platon, sans doute, n'eût pas parlé aussi favorablement qu'il l'a fait de l'homme qui eût été, en quelque sorte, le meurtrier de son maître chéri;

» Hermogène, cité par Xénophon comme le témoin le plus exact et le plus précis, raconte que, dans une conversation, avant l'audience du tribunal des Héliastes, Socrate invité à défendre sa vie contre les accusateurs, s'y refusa par cette raison,

Un homme simple, mais qui l'affectionnait, Apollodore, lui disant qu'il était révolté de l'iniquité du jugement,«Mon cher Apollodore, lui répondit Socrate avec un doux sourire et en lui passant amicalement la main sur la tête, aimerais-tu mieux me voir mourir coupable?

Mais celle qui, sans contredit, domine tout le reste, est celle-ci, qu'il ne faut jamais perdre de vue: Aristophane, l'homme du passé, attaqua dans Socrate l'homme de l'avenir, le promoteur des idées nouvelles qui allaient renverser peu à peu la vieille religion et tout l'ancien régime.

Socrate déjà, on peut le dire, évangélisait.

Mais on sentira l'extrême dureté qu'il y a à passer condamnation sans réserve sur le grand corps des maîtres intellectuels d'Athènes, et à canoniser exclusivement Socrate et ses sectateurs, si l'on se rappelle que l'apologue bien connu appelé le Choix d'Hercule fut l'œuvre du sophiste Prodicos et son sujet favori de leçon.

Jésus et Socrate.

Je me souviens surtout d'un soir d'été où M. de Vaudran, ayant apporté par hasard avec lui un Platon en grec, le lut en le traduisant à ses deux amis, jusqu'au moment où le crépuscule manqua sur la dernière page du Phédon, et où les premières étoiles scintillèrent dans le ciel autour du rocher, comme pour assister du ciel à la mort de Socrate.

Il était ridicule d'en faire tout à la fois un Socrate, un Newton.